Sexisme ordinaire

L’autre jour en nous promenant avec notre fils, nous avons croisé une petite voisine qui est dans la même école que lui. Spontanément, alors que nous bavardions avec sa maman, notre loulou est parti jouer avec cette louloute. Et je dis bien, spontanément, voire naturellement.

Ayant repris notre chemin, mon cerveau a lui aussi repris le sien. Celui des voies sinueuses et complexes de la pensée en feux d’artifices et en embranchement en tous genres qui peuvent me faire passer de la recette de la choucroute à la philosophie du bonheur tout en élaborant le schéma virtuel du prochain doudou que je créerai. Mon esprit a donc vagabondé sur cette rencontre et m’a amenée à la question suivante (enfin, mi-remarque mi-question, voire mi-réponse parce que je fais les questions et les réponses en même temps que je pense à ma dernière lecture sur un meurtrier en série et à la vidéo de petits chatons trop mignons qui se ramassent des gamelles à la pelle). Le questionnement était donc celui-là : « Mais dis-moi Léon, avec quelle fille joues-tu pendant la récréation ? Y a-t-il des copines avec qui tu joues ? » Et là, le fripon me répond : « Je ne joue pas avec les filles, j’aime pas les filles. »

Alors vous pensez bien que, d’un coup, mon sang n’a fait qu’un tour. J’ai de suite eu envie de retirer mon soutien-gorge, de le brûler devant lui, en lui montrant des photos de femmes battues, violées, de bulletins de salaire de deux employés ayant le même taf sauf qu’il y en a un qui est une femme et que donc ça justifie que ce soit 20% moins élevé que le mec en face. Non mais qu’est-ce que tu nous fais, espèce d’obscurantiste à la gomme. Et je me suis rappelé qu’il n’avait que quatre ans. Alors j’ai dit d’une voix toute douce : « Oh mais Léon, mon cœur, on ne peut pas dire ça. Les filles, elles sont comme toi, tu peux jouer avec elles, tu sais, y a pas de différence. » Sur ce, mon chéri, à qui l’on ne peut pas prêter de pensée sexiste ou machiste, a déclaré calmement : « Non mais c’est normal à son âge, tous les enfants disent ça. » Dans ma tête, ça a fait « oui, mais non, mais, enfin, oui ok, c’est vrai, d’accord mais… »

Et me voici quelques jours plus tard, repensant à ce moment qui a allumé dans mon esprit un étrange flot de réflexions sur la vision que l’on donne à nos enfants, encore aujourd’hui, mais oui, c’est dingue, des hommes et des femmes. Ce si minuscule et naïf « J’aime pas les filles », sorti de la bouche d’un enfant de 4 ans qui pourtant ne vit pas au quotidien cette situation, a notablement ébranlé mes convictions de maman qui éduque son fils dans le respect de tous et dans l’égalité naturelle. Enfin, je veux dire, il a en résumé annoncé : « Je n’aime pas la moitié de l’humanité. » WTF ???

Alors j’ai mis en route mon ordinateur interne et j’ai analysé les données. Première réaction : c’est forcément un mini-macho en culotte courte qui lui a fourré cette idée dans la tête. Je vais le choper et lui faire bouffer sa misogynie pré-pubère à ce coquin-là. Comment à 4 ans peut-on déjà faire la différence entre un garçon et une fille ? Comment à 4 ans peut-on déjà penser qu’il faut aimer ou ne pas aimer l’Autre, à moins qu’il ne nous ait déjà fait du mal ? Comment ? Merci les papas et les mamans qui ne cessent de dire « Fais pas la fille, tu pleurniches comme une fille, comme une fille, comme une fille… » Oui, je le répète trois fois parce que cette phrase, loin d’être anodine, heurte ma nature profonde aujourd’hui. Comme une fille ! Mais à quatre ans, un enfant ne sait pas ce que ça veut dire « Comme une fille ».

Et puis ensuite, mes rouages m’ont dirigé vers ma propre situation (ouh petite égocentrique que tu es !). Que voit mon fils aujourd’hui ? Une maman à la maison, qui a dû faire le choix de laisser son travail de côté pour suivre toute la famille. Et c’est normal, on ne laisse pas son fils de un an sans un de ses parents !! Aucun regret de ce départ, mais encore une fois, c’est la femme qui sacrifie sa carrière (même si je sais que mon amoureux le ferait direct si je trouvais un super taf). Et quand j’ai pris un congé parental pour m’occuper de mon enfant à un âge où il a surtout besoin d’être avec ses parents, maman était à nouveau dépendante de papa ! Et globalement, puisque je suis à la maison, qui prépare, le plus souvent, les repas, plie le linge, lave la maison, fais les courses, pense à ce qu’il manque, gère les stocks, prend les rendez-vous médicaux, etc ? Et le pire c’est que de nombreuses femmes font ce que je fais tout en travaillant (oui, gnagnagna, je parle de la fameuse charge mentale qui gène aux entournures). Bref, mon fils a tout de même un exemple qui ne révèle pas toute la grandeur de la femme et de ses compétences.

Mais que voit-il d’autre ? Il ne regarde pas la télé. Il n’a jamais vu de dessin animé plus long que 28 minutes (et c’est l’histoire d’un petit écureuil et d’un monstre). Mais attends, dans ses micro-dessins animés, qui est le leader à chaque fois ? Mais oui, un mâle ! À chaque fois, c’est un être de sexe masculin. Et pourtant qu’est-ce qu’ils sont mignons ces mini-héros ! Pierre Lapin est super, mais heureusement qu’en personnage secondaire il y a sa copine, qui réfléchit et trouve toujours une astuce pour éviter ou se sortir des pièges ! Elle a la connaissance et la sagesse, Pierre a la spontanéité et la fougue. Soit. Et dans Les As de la Jungle ? Une seule femelle pour combien d’animaux ? Tttttt mais ça ne va pas du tout.

Alors promis, mon doudou d’amour, désormais, je vais bien regarder ce que tu observes dans le monde. Et je vais démonter toutes les images sexistes que l’on t’oblige à intégrer à l’insu de ton plein gré. Et bientôt, tu pourras dire que tu as des copines avec qui tu joues parce qu’elles te font rire, parce qu’elles courent vite, parce qu’elles savent vaincre des dragons terribles, parce qu’elles réparent les voitures dans le garage et aussi parce qu’elles sont comme toi.

Tu seras un homme, mon fils, parce que tu aimeras simplement l’AUTRE.

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