Illusion de bonheurs fugaces

Sur le papier c’est beau, sur l’écran, c’est lisse. « Wouah (emoji qui ouvre la bouche en grand, histoire d’en rajouter une couche parce que « wouah » ça n’est pas assez clair…), ça doit être formidable de se réveiller avec quelqu’un d’aussi joli au réveil ». Voilà, une phrase qu’on peut apercevoir, comme ça, au passage sur les réseaux sociaux ; des gens qui s’affichent derrière des filtres, des poses non naturelles et des regards aux yeux de biche hyper khôlés. Tout ça est terriblement artificiel. Parce que euh, pardon, hein, perso, quand je me réveille le matin, j’ai la tête dans le cul, au moins trois heures de sommeil qui sont parties dans les limbes d’une insomnie capricieuse et tenace. J’ai la bouche pâteuse parce que j’ai besoin de me réhydrater et je suis légèrement moite, encore prise dans la chaleur de la couette et du lit douillet. Mais, je peux avoir un sourire espiègle quand même.

Depuis quelques temps, je surfe un peu plus souvent sur ces réseaux et j’y vois des femmes qui s’exposent, à fond, seins nus, corps nus dans des poses lascives avec des sous-vêtements dont les ficelles te donnent juste envie de faire des nœuds et de crier sur un ton vengeur : « Tu fais moins la maligne, là, avec tes nœuds à défaire ! Haha, allez démerde-toi avec, tu passeras moins de temps à t’afficher et plus à utiliser tes dix doigts ». Non parce que, excusez-moi encore pour cette digression, mais euh, les sous-vêtements pour femme, les sexy là avec tout leur tralala, c’est pas confortable. Certains sont beaux, certes, mais un bon shorty en coton, ça met vraiment plus à l’aise. Et a-t-on encore besoin de « mettre en valeur » le corps de la femme pour en montrer sa beauté, à poil, ou tout comme.

Ouhhh… petite conservatrice que tu es ! Dis-donc, tu ne tenterais pas un retour à une pudibonderie bien inutile en ce moment ? Du genre cache tes seins, tu es provocante, etc. Non, parce que je sais l’importance de montrer pour ne pas craindre. L’art en est truffé. Sauf que de nombreuses images montrent encore et toujours la femme comme un objet. Pour être belles, elles courent à la performance sportive pour retrouver (mais peut-être qu’elles ne les ont jamais vraiment eues) des formes uniquement issues de retouches Photoshop. Et voilà que je t’enlève de la cellulite ici, hop j’adoucis la courbe de tes hanches. Un petit coup de liposuccion par-ci, une injection de botox par-là. Mais ces formes sont le reflet de leur vie, de ce qu’elles ont enduré. Je ne dis pas qu’il faut les garder si on ne les aime pas, mais apprendre à accepter ces changements est vital, sinon on s’aliène. Bon, je sais, discours éculé et en plus je digresse encore une fois de mon discours initial : les illusions (quoique non, en fait).

Mais je dois avouer que ce monde virtuel où tout le monde s’affiche sans vergogne, se met en valeur, se rend beau me met un peu mal à l’aise. Parfois j’y participe, mais je reste ancrée dans l’idée que la réalité est bien plus belle. Avec ses difficultés, ses fissures, ses défauts. Ils ne devraient pas faire peur. A force d’illusions et de vies rêvées, on en oublie que beaucoup de choses réussissent parce que le chemin a été sinueux, semés d’embûches mais qu’on les a surmontées. Or, de nos jours, c’est la fuite qui est privilégiée. La déconstruction plutôt que la rénovation, l’embellissement. La vie réelle est faite de concessions, d’efforts, de luttes parfois. D’acceptation aussi. Le monde de l’illusion, celui que j’appelle le monde du bling-bling, n’est justement qu’illusion pour moi. « Wouah (émoji du wouah, oui obligé)… il était trop in, j’ai rencontré des gens hype » (oui, bon, c’est probable qu’on n’utilise plus ces mots, mais je m’en fous, on me comprend).

On cherche partout à séduire, à se montrer sous son meilleur jour, son meilleur profil. Mais la réalité est tellement plus belle. Plus sombre aussi, c’est sûr, mais au moins on a les deux pieds sur terre. Être capable de dire que non, on ne va pas bien, que non, on n’est pas en forme, c’est important aussi. Ne pas tomber dans la plainte, on est d’accord, mais ne pas croire qu’il faut que tout soit toujours beau et fantastique et positif. Vivre avec des illusions fait perdre la réalité de vue et pose un voile sur les choses qui sont autour de nous, que nous avons construites, pour lesquelles on a pris du temps et donné de l’énergie.

Oui, ces meufs, ces mecs s’affichent avec leurs belles silhouettes, leurs beaux muscles. Mais où sont leurs fêlures ? Ce qui fait qu’ils en sont là aujourd’hui ? Leur réalité est ailleurs.

Alors, on a le droit de s’octroyer des rêves et de les suivre et même de les vivre, mais ils ne doivent pas, à mon sens, faire oublier ce qui est déjà là, autour de nous : les gens qu’on aime, une nature qu’on fait souffrir mais qui continue d’être là pour nous, les amis, ce qu’on a construit. Les illusions nous bercent, elles sont douces, mais elles assombrissent parfois notre jugement. Oh putain ! Je viens de revivre le mythe de la caverne !!!

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