Superpouvoir

C’est agaçant. Non vraiment, il faut que je trouve un moyen de récupérer ce super pouvoir… Les choses seraient tellement simples et le monde tournerait tellement rond. Enfin, selon ma conception de la rondeur. Je veux dire avec lui, pfiout, envolés les soucis venus d’autres personnes que moi. De toutes façons, les soucis ne pourraient même plus apparaître puisque ce super pouvoir les empêcheraient avant même qu’ils ne deviennent l’embryon d’une chiure de mouche.

Comment ? De quel superpouvoir parlais-je ? Ha ben de la combinaison omniscience/omnipotence, bien-sûr !

Non mais faut être réaliste, ce serait mille fois plus simple si les êtres humains pouvaient s’écouter et se respecter sans prendre la mouche à la moindre remarque ou tentative parfois maladroite de communiquer. Imaginons : un couple se déchire… Avec mon superpouvoir, hop hop hop, pas de souci Omniposcience arrive à la rescousse (bon, je suis bien consciente que ce nom de super héroïne n’est pas des plus glamours, mais on pourrait me surnommer Omnipo ou POPO, non ?). Bref, le couple se déchire et moi, j’arrive avec mes supers yeux convaincant et je les envoûte et là, plus de dispute, plus de fierté mal placée, plus de souffrance. Les deux amants amoureux bouffés par leur quotidien se regardent, s’assoient à une table et se mettent posément à parler, à tout cracher mais avec générosité, honnêteté absolue. Les griefs explosent, les reproches se transforment en un feu d’artifice de révélations sur soi, c’est une apothéose de franchise et de découverte d’un amour absolu enfin possible…

Hein ? Quoi ? Que je redescende sur Terre ? Mais pourquoi ? Parce que ça ne peut pas fonctionner comme ça ? Mais pourquoi ? Parce que les gens n’ont pas appris. Mais pourquoi ? Parce que le monde ne tourne pas rond et que se déchirer et briser ce qui se construit fait partie de l’être humain. Mais pourquoi ? C’est comme ça. QUOI ? Mais qu’est-ce qui est comme ça ?

Le fait qu’il devienne de plus en plus rare de résister à l’envie de tromper, de mentir, de baisser les bras ? De consommer des relations comme on consomme des yaourts jetables (tiens, c’est rigolo, je n’en consomme pas). Qu’il est plus facile de vouloir sauver le JE que le NOUS. Non, je ne prône pas un truc de réac. Non, je ne suis pas nostalgique d’un temps où ces couples souffraient le martyre toute leur vie parce que ça ne se faisait pas de partir.

Ha vous croyez vraiment que je me délecte d’un monde de bisounours. Et ben même pas !! Ha ha, vils pessimistes et démonteurs de convictions que vous êtes.

Non, je crois définitivement et fermement en la capacité d’un couple à se battre pour réenchanter le quotidien. Je crois en la possibilité, quelque part je ne sais pas où, qu’il existe quelqu’un qui est capable de se dire que les obstacles s’affrontent et ne se contournent pas ou s’évitent.

Ha mais totalement ! Je crois en la douleur que cela crée de faire ces efforts mais pour un bonheur plus grand ensuite. Quoi maso ? Non, je ne suis pas maso, ou alors si. On peut accepter de la souffrance pour aller vers un absolu lumineux et débarrassé de toute gêne, de toute peur de l’autre, de cet égoïsme et de ces carapaces qui se construisent dans un couple au fil des années.  Si ça, c’est être maso, alors j’assume totalement le bâton que je tends pour qu’on me batte.

D’où le superpouvoir ! Si c’est effectivement gênant de souffrir pour atteindre ces buts ultimes, pas de problème. Je deviens omnisciente et omnipotente et voilà. Chaque jour, je distribue mon lot de courage, mon lot d’humilité, mon lot de sincérité. Et je retire aigreur, petitesse d’esprit, fierté à deux balles, égoïsme patenté.  Imaginez alors tout ce que je pourrais réaliser…

Tu colles une étiquette à ta future ex-moitié ? Un comportement non contextualisé devient une tare congénitale impossible à faire disparaître ? Superpouvoir ! Et terminé, le comportement est analysé, décortiqué et on essaie de comprendre pourquoi il est apparu, pourquoi il a dérangé et on corrige, on répare, on améliore… Je deviendrais la Super Mario des relations de couple !!

Non, vraiment, il me le faut ce superpouvoir. Parce que malgré tout, je m’épuise, je fatigue. Je me sens comme un Don Quichotte qui se bat contre les chimères d’un monde qui ne tourne pas dans le même sens que mes convictions. Parce que je me prends des murs qui font mal et que je ne comprends pas pourquoi je ne peux pas les défoncer à coup de générosité, de tolérance, d’acceptation, de concessions, d’écoute. Parce que c’est vrai que l’autre monde est plus fort.

Celui du « Sauve qui peut, surtout chacun pour sa gueule… »

Peut-être que je suis une idéaliste, peut-être que je ne trouverai jamais ce superpouvoir qui aiderait tant à ne pas toujours tout briser. Ou peut-être pas. Mais je ne peux que rester droite dans mes bottes, continuer de croire en l’amour absolu. Celui où les affects se posent, s’ouvrent comme des fleurs au soleil et se laissent butiner et titiller par les questionnements et les tentatives de compréhension. Tous ces petits papillons qui par leurs battements d’ailes et efforts incessants se nourrissent de ce nectar pour aller disséminer les pollens d’une vie plus apaisée. Comme ces fourmis qui vont creuser au plus profond de nous l’envie de sauver ce qui doit être sauvé. Par prétention, pour être les plus beaux, les plus courageux, les plus persévérants. Ceux pour qui on peut dire, ils ont réussi, ils ont tenu et ont trouvé le bonheur tapis au fond de leurs grottes respectives pour en faire un cocon solide avec des ouvertures permanentes vers une liberté et une sécurité retrouvées.

Je l’aime bien ce superpouvoir. Mais j’avoue que je ne sais pas où il se cache. Mais si je le trouve peut-être que je le partagerai. Ouai, allez, c’est promis, je le sèmerai pour en faire des fleurs épanouies au soleil du renouveau.

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